Chapitre VIII - Dans de beaux draps
Manon- Octobre 2010
9/26/202410 min read


16H38 – JiBouille : « Cc. J'ai trop envie de venir chez toi ce soir hihi on pourrait faire le dauphin ensemble »
16H55 – Manon : « Coucou, je te tiens au jus je suis encore au journal. Bisou ;) »
Manon jette un œil à l’heure sur son téléphone. Dans 30 minutes, elle filera au conseil municipal qu’elle couvre tous les mois. La journaliste ouvre un pli administratif : une grande enveloppe brune, souple et légèrement froissée, d’où elle extrait l’ordre du jour laissé ce matin par le service com’ de la mairie.
Elle pousse un soupir - Mise en place d’un système de vidéoprotection dans le centre-bourg - une affaire qui risque de susciter prises de parole, débats... Bref, Manon va y passer des heures, sans compter le papier qu’il faudra envoyer avant le bouclage.
« Ça me saoule », souffle-t-elle en lançant un regard exaspéré à son collègue qui s’affaire sur son papier, les doigts martelant le clavier avec une énergie qui emplit la pièce de claquements secs.
17H13 – Manon : « Laisse tomber je vais rentrer super tard je file au conseil municipal là, ça me gave »
17H13 – JiBouille : « Tkt on remet ça je te ferai une encore plus grosse dose de câlins. Bon courage bisous. »
Il est vraiment très chou mais elle aimerait qu'il se montre un peu plus entreprenant. Et qu'est ce qu'il fume (et elle aussi du coup) ! Quand elle se retrouve dans l'intimité avec Jean-Baptiste, Manon reste trop timide, c'est comme si elle n'arrivait pas à se décoincer ; du coup à part quelques bisous, il ne se passe pas grand-chose... La presque trentenaire n'a pas beaucoup d'expérience avec les hommes. Depuis l’adolescence, elle a enchaîné les petits copains, mais n’a eu sa première expérience sexuelle qu’à 20 ans. C'est plus tard que la moyenne, mais selon Manon, c'est une forme de fierté : elle adore ne rien faire comme les autres, ça la rend d'autant plus unique, se targue-t-elle.
*********
Trois jours plus tôt...
En fin de journée, Manon et Jean-Baptiste se sont retrouvés dans un petit parc à l'orée du village. Ils se voient régulièrement depuis la soirée du festival. Ce jour-là, il la rejoint en Booster, son van aménagé étant en panne. Les deux jeunes gens, posés dans l'herbe, se partagent un joint en se racontant quelques banalités quand Manon prend les devants et enfourne sa langue dans la bouche de son flirt. Elle n’aime pas vraiment la sensation pâteuse de la fumette, alors préfère parsemer son cou de petits baisers.
Finalement, la demoiselle glisse sa main sur le jean de son ami et en ouvre la braguette pour faufiler ses doigts à l'intérieur du caleçon en tissu. Elle tombe sur un sexe au repos, incroyablement doux, presque soyeux sous sa paume. Ce contact inattendu, tendre et vulnérable, la déstabilise plus qu’elle ne veut bien l’admettre. Un peu prise de court, Manon retire sa main, un sourire amusé sur les lèvres.
« Bin oui, ma grande, c’est pas automatique, hein », lance Jean-Baptiste, mi-gêné mi-taquin, comme pour désamorcer la petite claque à sa virilité.
*******
Le conseil municipal n’en finit plus, l’ordre qui intéresse la presse est en 15e position sur le programme. Il y a la télé, la radio et les deux journaux locaux, tout le monde est venu relater l'annonce de la mise en place des caméras de surveillance sur la place publique. Manon tripote nerveusement son portable, elle est comme une lionne en cage ici : elle étouffe.
« Il paraît que t'es plus avec l'autre là ? Heureusement que vous bossez pas dans la même agence... », lui murmure un confrère.
Manon ne prend même pas la peine de répondre à ce localier de presse écrite. De toute façon, elle ne l'apprécie pas. À vrai dire, elle n'apprécie aucun confrère. « Je me donne 10 ans et ensuite j'arrête. Si je reste journaliste toute ma vie, je vais finir comme tous les autres : divorcée dépressive et alcoolique », racontait Manon à sa mère il y a encore quelques jours au téléphone.
« Nous passons maintenant au point numéro quinze de notre ordre du jour, relatif à la mise en place d’un dispositif de vidéoprotection sur la place publique. Je vais donc laisser la parole à monsieur Dupuis, notre adjoint chargé de la sécurité, qui va vous présenter le dispositif plus en détail et répondre à vos éventuelles questions », déclare le maire en se reculant légèrement de son micro.
La tête toujours plongée dans ses dossiers, monsieur Dupuis se penche vers le petit micro noir posé devant lui. Sa voix s’élève, un peu étouffée par la liasse de papiers qu’il feuillette nerveusement.
19H30 – Manon : « Hello. J'en peux plus, je viens de passer 2h au conseil, là je file à la rédaction faut que je tape mon papier pour demain, j'espère que tu vas bien. Bizou. »
19H45 – Olivier : « Salut madame la journaliste, passe après j'ai une bonne bouteille de rouge et je chauffe le jacuzzi. »
19H45 – Manon : « ça marche. À toute. »
Manon rougit. Elle aime bien Olivier. Il est kiné dans un village voisin et, comme Jean-Baptiste, c’est un copain du collège.
La différence, c’est qu’avec Olivier, il y a un vieux passif amoureux. Déjà en 5eme, il se montrait un peu borderline : en classe, il faisait passer des petits mots pas très catholiques, du genre « Je veux te manger la chatte avec de la confiture à la framboise. » À 13 ans, ça ne la faisait pas vraiment rire, elle, toute gênée, planquait les bouts de papier au fond de son sac. Pourtant, au fond, ça la titillait.
Puis il y a eu ce samedi après-midi, en troisième, à la boum de Yohan. Olivier l’avait prise à part pour lui rouler sa première pelle. Après ça, plus rien. Entre eux, c’est resté en suspens… jusqu’à aujourd’hui.
22H30 - Manon : « coucou, je fini à peine le boulot je vais rentrer direct je passe récupérer Iska demain, bisou »
22h30 - Dad : « Ok bisou ».
Manon culpabilise de laisser sa chienne chez son père comme ça mais, depuis sa séparation, entre le boulot et sa nouvelle vie de célibataire, elle sait qu'Iska est mieux chez son papi plutôt que toute seule dans l'appart de sa maman.
22H31 - « J'arrive, laisse le portail ouvert stp par contre j'ai pas mon maillot de bain quel dommage ! »
22H33 - « mmmm ».
Olivier gagne bien sa vie. Il vient de faire construire sa maison d’architecte sur les collines, au milieu des vignes. Célibataire depuis quelques mois, il sort lui aussi d’une histoire compliquée avec une « perverse narcissique ». Il en parle encore beaucoup, trouve Manon, surtout quand il boit — ce qui, chez lui, arrive presque tous les jours. Pas d’enfants, pas d’animaux : ici, rien ne vient salir la moquette qui recouvre toutes les pièces ni troubler l’ordre impeccable d’un intérieur digne d’un magazine.
En entrant dans la villa, Manon ne peut s’empêcher de lorgner la grande piscine illuminée, encastrée dans le deck en bois tropical.
« Elle est chauffée, comme le spa », sourit Olivier en la débarrassant de son blouson. Il ouvre en grand les baies vitrées à galandage, cerclées de PVC noir.
À l’intérieur, tout est beige, du sol à la moindre tenture, donnant à l’ensemble une allure lisse, presque aseptisée. La cuisine américaine s’ouvre directement sur le salon, dominée par un immense îlot central en marbre crème délicatement veiné. Un frigo américain trône non loin, entouré de placards encastrés aux façades ultra-design et sans poignées. Quelques grandes photos encadrées attirent l’œil : Olivier en plein ciel, parachute ouvert, sourire aux lèvres.
Fatiguée, la journaliste retire ses baskets et dépose son sac à main sur l’îlot. Olivier, tout sourire, glisse sous son nez un immense verre à vin, très chic.
« Château Beaucastel 2007 Mademoiselle », annonce-t-il presque à voix basse, comme un secret. Manon n'y connait rien mais elle apprécie un bon vin quand il se présente. Le petit manège de son hôte la fait sourire. Les vieux amis passent des heures à « discuter », mais c’est surtout Olivier qui parle. Manon, elle se contente d’hocher la tête et de ponctuer ses tirades de petits sourires.
Elle se délecte de ce merveilleux rouge, accompagné de quelques olives qu’Olivier a préparées. Pendant qu’il raconte son dernier voyage au Népal, il sirote tranquillement son bourbon, verre après verre.
« J’ai envie d’aller me baigner », souffle Manon, déjà un peu grisée par le vin.
Sans attendre, elle glisse une main sous sa chemise fluide pour retirer son soutien-gorge, laissant ses seins libres dans un petit rebond discret.
Olivier avale cul sec son verre et contourne l’îlot de la cuisine pour la rejoindre. Sans prévenir, il passe la main sous le tissu et malaxe fermement sa poitrine. Manon, réchauffée par l’alcool et le Château en question, ferme les yeux, se laissant gagner par la pression précise de ses doigts.
À l’intérieur, il fait chaud. L’automne n’a pas encore vraiment pointé, mais Olivier fait déjà tourner sa clim réversible. Torse nu depuis le début de la soirée, il laisse son corps effleurer celui de Manon, qui apprécie chaque geste, chaque contact un peu plus.
Les mains qui la malaxent sont larges et puissantes. Tout chez cet homme respire la virilité : ses cheveux très bruns, ses sourcils épais, sa carrure de rugbyman.
Puis, sans prévenir, alors qu’il se tient debout devant Manon toujours perchée sur son tabouret, le célibataire déjà bien imbibé fait glisser son pantalon en lin jusqu’à ses pieds. Le voilà entièrement nu.
Déstabilisée par tant d’assurance, Manon se laisse porter par le jeu de celui qui fut son premier baiser. Il l’embrasse et la déshabille à son tour.
Désormais debout, en petite culotte, la jeune femme murmure, un peu gênée :
« J’ai pas pris de douche… j’ai pas arrêté de la journée. »
« Pas de souci ma belle, je te prépare un peignoir. Tu pourras aller te doucher. Mais avant, tu devrais passer dans le jacuzzi te détendre un peu. »
C’est ça qu’il lui faut, pense Manon : un homme qui prenne les choses en main… Même s’il reste un peu borderline, comme toujours.
Son ballon de vin à moitié plein dans la main, elle enjambe le bain à remous. À l’image du reste de la villa, c’est tape-à-l’œil : on pourrait y caser six personnes sans problème. L’eau bouillonnante change de couleur toutes les cinq secondes, et une vapeur légère, parfumée à la lavande, s’en échappe.
Manon plonge un pied dans l’eau, brûlante, puis s’immerge voluptueusement. Elle pose son verre au sol et s’étire de tout son long, la tête calée sur un coussin en plastique noir. Un large sourire éclaire son visage pendant qu’elle se relâche complètement. Enfin.
« Elle est bonne, hein ? » lance Olivier, debout à côté d’elle, un verre de bourbon à la main, toujours nu. Il plonge la sienne dans l’eau, la fait remonter le long du corps de Manon jusqu’à son entrejambe. Elle esquisse un sourire mi-amusé, mi-ironique : elle avait presque cru qu’il passerait la soirée à monologuer, sans rien tenter. Enfin. Manon écarte les cuisses sans hésiter. D’un geste assuré, Olivier bascule ses hanches, attrape son sous-vêtement et le retire hors de l’eau. « Maintenant tu peux aller sous la douche ».
Manon s’emmitoufle dans le grand peignoir XXL, tout doux, qu’Olivier a accroché derrière la porte de la salle de bain du bas. Même s’il a été en couple pendant deux ans, son ex n’a jamais vécu ici. Rien, dans cette maison, n’évoque la féminité. Elle doit donc composer avec les quelques produits de bain typiquement masculins, aux effluves de musc et de bois de cèdre. Elle s'est passé un coup de tondeuse sur les jambes et sur le maillot, impossible de mettre la main sur un rasoir. Elle plie ses affaires du jour sur le petit meuble d'inspiration scandinave. Puis se retourne avant de sortir histoire de s'assurer de ne rien laisser traîner derrière elle. Encore un peu humide, elle savoure la sensation de ses pieds nus sur la moquette épaisse, elle ferme la porte coulissante de la salle d'eau et scrute la le rez de chaussée vide et silencieux de la villa. Sur l'îlot central, leurs deux verres sales, les deux bouteilles vides, ainsi que la coupelle en gray noir remplie de noyaux d'olives vertes, n'ont pas bougé. Olivier est monté se coucher. « Il a une femme de ménage, tu m'étonnes John !», charrie Manon à voix basse et enveloppée dans son peignoir, elle gravit doucement les marches menant à la suite parentale, le cœur battant d’un léger frisson d’anticipation.
Il l’attend, allongé sur le lit, la tête calée contre sa main, dans une pose presque trop étudiée. Elle ne peut s’empêcher de rire, mais Olivier n’en prend pas ombrage : il l’attrape par la main et la libère de son écrin de coton gris et moelleux.
Pendant qu’il l’allonge sur le lit king size, Manon remarque immédiatement l’incroyable confort du matelas. C’est comme si elle était un gros bébé prêt à passer sa meilleure nuit. Elle ferme un instant les yeux pour savourer la douceur du tissu contre sa peau, mais elle est tirée de sa rêverie quand Olivier se glisse déjà sur elle.
Manon n’est pas une femme menue, c’est plutôt une belle plante comme on dit, mais sous le poids de son amant, elle se sent toute petite. Ils s’embrassent, encore portés par l’euphorie de l’alcool. Elle le laisse l’embrasser partout, tout en s’efforçant de ne pas se focaliser sur cette sensation atroce : ses poils fraîchement rasés, drus et piquants, comme un champ de micro-aiguilles qui la griffent au moindre frottement.
Un vrai cactus, l’enfer, se dit-elle.
Alors, avec un naturel désarmant, Manon se redresse et repousse gentiment Olivier, qui s’acharnait sur un cunnilingus aussi maladroit qu’enthousiaste. Elle prend son visage entre ses deux mains, l’embrasse, puis plante son regard vert dans ses yeux noirs à lui, un sourire joueur aux lèvres.
Sans un mot, elle se retourne à quatre pattes, lui offrant son plus beau cambré. Ainsi, elle s’épargne le supplice des poils qui la piquent de partout. Et elle le sait : cette vue-là va le rendre fou.
La petite culotte dans le garage
Un récit poignant d'une passion destructrice, une histoire librement inspirée de faits réels signée Aude Caro.
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