Chapitre III - Le soleil
Novembre 2020
10/1/20244 min read
Quinze jours se sont écoulés depuis la rupture. Marc a accepté de quitter la maison, le temps que Manon puisse se reloger. Elle va pouvoir se poser un peu, elle bosse beaucoup en télétravail. De plus, 97 % de ce qui meuble les pièces, étagères et murs du foyer lui appartient. Là-dessus, ils sont d'accord. La séparation s'est plutôt bien passée, pas de crise, pas de cris ; il faut dire que cela fait plusieurs mois, non : des années, que le couple bat de l'aile. Il était temps d'arrêter les frais. L'ardoise est salée et pourtant, ni elle ni lui n'avaient jamais réussi à tirer un trait sur l'autre. Comme si un lien sacré unissait ces deux-là, malgré les épreuves...
Malheureux souvent, amoureux sans aucun doute, et dépendants assurément, le duo se confortait dans cette relation si toxique qu'elle vous enivre jusqu'à anesthésier toute forme de bon sens et de respect de soi. Ça a duré dix ans.
Dès le début - officiel - de la relation, Manon et Marc ont emménagé ensemble. Ils formaient une équipe, disaient-ils. Alors, pour tourner la page dignement sur sa première grande histoire, Marc a accepté de retourner vivre chez sa mère, plus haut, à la sortie du village. Peu ravi, il lui a déjà dit : il serait bien resté ici, dans cette maison qu'il a rénovée lui-même. Mais le garçon n'est pas à plaindre. Sa mère a accepté de le loger gratuitement dans une annexe normalement réservée à la location saisonnière. Cet ancien appentis en vieilles pierres surplombe une plaine où les vignes s'étendent sur les collines alentour. La dépendance possède une entrée privée et discrète.
Entre Manon et Marc, le cordon n'a pas encore été coupé. Elle lui envoie des textos encore plusieurs fois par jour. Celui-ci semble encore éprouver un attachement fort pour son ex-compagne. Si bien qu'il répond encore présent à chaque appel, à chaque message, à chaque rechute émotionnelle. L'occasion de passer à la maison, récupérer quelques affaires et de fumer un joint en buvant un café, ensemble.
— Arrête de pleurer. Ne t'inquiète pas, je suis toujours là pour toi, tu vois bien. Et puis, prends le temps qu'il faut pour trouver un appart qui te convienne, on se dit deux mois, ça te va ? Quand je reviendrai vivre ici, je chercherai sûrement un colocataire.
— Tu penses que ton grand-père va continuer à te faire payer un loyer ?
— Oui, il va même sûrement l'augmenter... Ça l'arrangerait bien qu'on dégage tous les deux de la maison au final, cette séparation, ça l'arrange. Il mettrait un loyer d'au moins 1 000 euros. Donc, c'est pour ça, je chercherai quelqu'un avec qui partager la maison quand tu auras déménagé.
— Tu parles... Comme si tu allais te mettre en colocation... Je te connais : tu vas te trouver une nouvelle nana et elle va venir s'installer ici. Et moi... aux oubliettes.
— N'importe quoi. Tu crois que c'est facile pour moi ? Et puis, c'est toi qui me quittes ! Alors ne crois pas que je m'en remettrai aussi rapidement. C'est pas facile pour moi non plus.
— Je te connais, Marc !
— C'est BON ! Tu m'as SAOULÉ avec ta jalousie de MERDE. Tu m'as quittée alors maintenant, tu vas pas non plus me casser les couilles. Je me casse. Je passe demain récupérer mes vinyles. CIAO !
De la bienveillance aux cris, en une fraction de seconde, le ton change de camp. C'est ça, la routine de ce duo, depuis une décennie, au 75 impasse du Petit Lavoir. Marc a claqué le portail en bois, laissant son ex-copine en pleurs, seule à table sur la terrasse dehors. Les sanglots de la jeune femme deviennent des spasmes. La tristesse se transforme en colère. Et puis, vient l'angoisse. Submergée, le visage de Manon se tord, elle ne retient plus les larmes et encore moins les mots. Elle commence à marmonner en boucle. Elle a besoin de parler à quelqu'un. Elle prend son portable.
— Coucou Jé...
— Allô poulette, ça va pas...
— Non. Il est passé, c'est parti en couille. Il me manque. Je sais qu'il va me remplacer, je sens que c'est vraiment fini ; là, tu vois.
— Il faut que tu sois forte, c'est ce que tu voulais. Tu pouvais plus continuer comme ça.
— ... Tout est de ma faute… Et si j'avais fait une énorme erreur ? J'ai foutu en l'air 10 ans d'histoire et tout ce qu'on a construit avec... Je lui en demande trop, je le sais... Je dois travailler sur moi, continuer à régler mes problèmes. Cette foutue jalousie de merde... Pas étonnant qu'il pète un câble... Comment vivre avec une femme qui ne lui fait jamais confiance et qui le remet en doute tout le temps ?
— Arrête de te faire du mal, tu sais bien que tu n'étais pas heureuse avec Marc.
— Je regrette, j'ai fait une erreur, je l'aime. Il te respecte, toi. Tu peux l'appeler, s'il te plaît ? Appelle-le, parle-lui, dis-lui que je l'aime et que j'ai fait la plus grosse erreur de ma vie.
— D'accord.
— Tu me le promets ?
— Je te le promets.
Les pleurs de Manon se sont calmés. Apaisée, les traits de son visage se radoucissent et elle semble plus sereine maintenant. Depuis sa crise, la tête de sa chienne est toujours posée sur ses genoux. L'animal semble comprendre sa maîtresse et sa douleur. Elle vit avec le couple depuis toutes ces années. Iska avait à peine 3 ans lorsque Marc est entré dans leurs vies. Manon pousse délicatement la tête du chien et va s'asseoir à son bureau à l'intérieur du salon. Elle prend une feuille, un stylo et se met à écrire.
« Mon amour, le soleil de mon univers, je regrette. Je suis en train de commettre la plus grosse erreur de ma vie...»
La petite culotte dans le garage
Un récit poignant d'une passion destructrice, une histoire librement inspirée de faits réels signée Aude Caro.
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